@ crédit photo : Carlos Alvarez
Un travail de Titan sur un livre mythique
S’il y a bien un livre qui est devenu culte dès sa sortie c’est bien l’Étranger d’Albert Camus (1913-1960). Cela étant dit, c’est la seconde fois qu’un cinéaste « ose » s’attaquer à une montagne et l,adapter au cinéma car Luchino Visconti réalisa un opus en 1967 : Lo straniero avec Marcello Mastroiani dans le rôle de Meursault. François Ozon est donc le second à adapter le livre de Camus au cinéma. Cela a demandé un travail considérable en amont, non seulement avec Philippo Piazzo, son co scénariste mais aussi avec la fille d’Albert Camus, Catherine (née en 1945). François Ozon dit avec justesse que « Dans toute adaptation, il y a une part de trahison qu’il faut assumer ». Et il applique cette maxime sans complexe avec L’Étranger sous le regard bienveillant de Catherine Camus.
L’Algérie et le colonialisme au coeur du livre et du film
« Pour des raisons politiques évidentes mais aussi de sécurité nous n’avons pas pu aller en Algérie. Nous avons donc du nous adapter ; mais nous avons pu montrer Alger grâce aux archives des années 1930 pour montrer même furtivement ce qu’était la colonisation de l’Algérie par la France » nous dit François Ozon. Mais s’il n’a pas tourné en Algérie, l’ancien département français devenu indépendant le 5 juillet 1962, est constamment dans les pensées et les échanges entre les personnages. Les termes « arabes », « indigènes » reviennent sans cesse dans la bouches des personnages. Ainsi, lorsque le vieux prisonnier algérien lui demande pourquoi il est en prison Meursault lui répond sans détours : « J’ai tué un arabe ». Pendant le procès, un an après les faits, le procureur parle régulièrement des indigènes tandis que Djemila, répondant à Marie, dit : « C’est mon frère et tout le monde s’en fout. Personne ne parle de lui »
Des décors et des costumes parfaits pour un film en noir et blanc
« Privé » de tournage en Algérie à cause des tensions politiques très fortes avec la France, François Ozon et Katia Wyszkop, sa décoratrice, ont dû se rabattre sur d’autres décors assez proches cependant des plages algériennes et de son désert. Et on ne peut que saluer le beau travail du réalisateur qui a magnifié les différents sites découverts par Katia Wyszkop qui a parfaitement su rendre « l’illusion » de l’Algérie d’alors. Pascaline Chaval, la costumière a également fait un travail remarquable ; toute la distribution est habillée du plus petit rôle jusqu’aux rôles principaux avec goût même si l’on ne s’en rend pas compte étant donné que le film a été tourné en noir et blanc. « Ce sont des raisons économiques et esthétiques qui m’ont poussé à tourner en noir et blanc. Économiques car nous avons choisi de privilégier les décors et les costumes ; esthétiques car le noir et blanc apporte une forme de beauté, de pureté, d’abstraction. Je voulais aussi conserver une forme de simplicité, et filmer en noir et blanc me permettait de le faire. » dit François Ozon ; et en effet on baigne dans une certaine forme d’intimité que l’on n’aurait sans doute pas trouvé si le film avait été tourné en couleurs. Tout le procès de Meursault laisse transparaître une forme d’angoisse et de tension plus fortes en noir et blanc. On saluera la très belle musique composée par Fatima Al Qadiri qui est Koweïtienne et qui a fait un travail parfait pour « accompagner » l’Étranger.
Une distribution remarquable qui fait honneur à Albert Camus
C’est Benjamin Voisin qui prête ses traits à Meursault. Le jeune homme qui a déjà travaillé avec François Ozon en 2020 pour Eté 85, retrouve donc le cinéaste pour L’Etranger. Benjamin Voisin s’approprie ce rôle complexe avec une apparente facilité ; mais comme il le dit lui même, il a beaucoup travaillé en amont pour parvenir à jouer l’indifférence, sans beaucoup bouger, sans beaucoup parler. « Ne presque rien faire, ne presque rien dire c’est hyper physique ! A la fin de chaque journée de tournage, j’étais complètement épuisé. » dit Benjamin Voisin qui a pris ce beau projet tellement à cœur qu’il a lu le livre de Camus à plusieurs reprises pour s’imprégner de la personnalité étrange et complexe de Meursault. Rebecca Marder campe une très belle Marie Cardona. Dans le livre d’Albert Camus on la voit très peu mais pour les besoins du film, François Ozon lui a donné une présence plus importante (c’est l’une des trahisons dont il parle par ailleurs). La jeune femme brosse un portrait séduisant de Marie qui soutient Meursault jusqu’au bout. Pierre Lottin que j’avais vu l’hiver dernier dans En fanfare (https://autresarts.blogspot.com/2025/01/benjamin-laverhne-et-pierre-lottin.html) est un Raymond Sintès idéal : méprisant envers le genre humain et les femmes en particulier, arrogant, il ne laisse personne indifférent. Pierre Lottin change de registre avec talent et j’ai particulièrement apprécié de le voir incarner un personnage aussi retors. Si Albert Camus ne lui a pas donné de nom de famille, François Ozon l’a fait mais n’est ce pas là un point de détail ? Pour accompagner ce trio de toute beauté, on a une distribution superbe : Christophe Malavoy en juge, Nicolas Vaude en procureur et Jean-Charles Clichet en avocat de la défense incarnent la justice française dans toute son impitoyable crudité au point que l’avocat de la défense se demande devant toute la salle d’audience si son client est condamné pour avoir tué un homme ou pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère. La question posée n’aura jamais de réponse pas plus que l’on ne saura si le pourvoi du condamné est accepté ou rejeté ; mais Meursault lui même semble repousser l’idée de sortir libre de prison.
C’est un très bel opus que François Ozon s’apprête à sortir. Je ne doute pas que Albert Camus lui même aurait apprécié le travail rigoureux du cinéaste et donné son aval à la très belle distribution réunie par François Ozon pour son film.
Compte rendu, cinéma. Poitiers. TAP Castille, le 24 septembre 2024. François Ozon (né en 1967) : L’étranger tiré du livre éponyme de Albert Camus (1913-1960). Benjamin Voisin, Meursault ; Rebecca Marder, Marie Cardona ; Pierre Lottin, Raymond Sintès ; Denis Lavant, Salamano ; Swann Arlaud, aumônier prison ; Christophe Malavoy, le juge ; Nicolas Vaude, le procureur ; Jean-Charles Clichet, l’avocat ; Mireille Perrier, Mère Meursault ; Hajar Bouzaouit, Djemila ; Abderramane Dehkami, Moussa ; Jérôme Pouly, Céleste ; Jean-Claude Bolle-Reddat, concierge asile ; Christophe vandevelde, Masson ; Jean-Benoît Ugueux, directeur asile. François Ozon / Philippe Piazzo, scénario ; Manu Dacosse, image ; Katia Wyszkop, décors ; Pascaline Chaval, costumes ; Fatima Al Qadiri, musique … Sortie nationale : 29 octobre 2025

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