Au départ de tout, une grève interminable des femmes de chambre à l’hôtel ibis Batignolles. Ces « petites mains », ces « invisibles » étaient ou sont encore employées par une société de sous traitance qui travaille, entre autres, avec le groupe hôtelier ACCOR. Si au final, ces femmes courageuses n’ont pas obtenu d’être « internalisées », car le groupe ACCOR s’apprêtait alors à supprimer environ sept cent postes, elles ont au moins obtenu de meilleurs salaires et des conditions de travail décentes. C’est cette grève record, d’une durée de 22 mois, qui est le point de départ du scénario de Nessim Chickaoui et d’Hélène Fillières.
Donc, Petites mains, se déroule dans un hôtel de luxe parisien : le Aston Plaza. Le film parlant des femmes de chambres « internes », employées par l’hôtel et bénéficiant de tous les avantages possibles, et « externes »,employées par le sous traitant et exploitées jusqu’au bout de leurs forçes, on ne voit pas « l’endroit du décor » (riches clients, réception, bar, restaurant …). Et dès l’arrivée de Eva, la jeune « bleue », externe car elle remplace une gréviste (« On ne t’a jamais dit que c’est pas bien de remplacer les copines qui font grève ? »), le décor est planté. Les anciennes, internes et externes, bousculent la nouvelle comme pour lui faire payer son arrivée. Corinne Masiero campe avec talent Simone, la revêche ancienne de l’équipe. Si, comme les autres, elle bouscule Eva, elle s’attache à la jeune fille allant jusqu’à l’héberger lorsqu’elle est jetée à la rue par les responsables du foyer ou elle vit un mois avant la date prévue. Lucie Charles-Alfred est une Eva très convaincante. Témoin des luttes incessantes par les externes Eva prend fait et cause pour les grévistes qu’elle rejoint après une altercation avec son ami Ali qui ne supporte plus son rôle de « valet de chambre » supplémentaire. Mais si Eva reprend ses études c’est bien grâce à Simone qui lui fait comprendre que travailler et prendre fait et cause pour les grévistes c’est une chose, mais penser à soi et avancer dans la vie en est une autre. Marie Sohna Condé est totalement hilarante dans le rôle de la très extravertie Safiatou. Mais attention ne nous fions pas nous plus aux apparences car Safiatou cache son mal-être et son malaise sous une « décontraction » de façade et lorsqu’elle apprend que c’est une autre qui a été employée en interne alors qu’elle avait demandé à être internalisée (plus facile pour le renouvellement des papiers d’avoir un CDI et un « vrai » salaire et les avantages qui vont avec) elle explose et rejoint les grévistes sans autre forme de procès. Salimata Kamata est certes une belle Violette mais face à la tornade Sohna Condé elle peine à trouver sa place. Pour en terminer avec l’équipe de femmes de chambre et la gouvernante, parlons de Maïmouna Gueye (Aïssata) et Mariama Gueye (Agnès Simon). La première fonce dans le tas, comme ses collègues, tandis que la seconde, la gouvernante, doit composer avec ces femmes dont elle comprend les états d’âmes et la grève, et la direction de l’hôtel qui la presse comme une orange trop mure pour faire « tourner » les équipes en remplaçant impitoyablement les grévistes et les malades. Kool Shen est le syndicaliste de service ; Thierry Bonneau prend fait et cause pour les femmes de chambre et les défend avec un bel acharnement jusqu’à ce que les revendications de ces grévistes attachantes soient enfin entendues. Abdallah Carki est un Ali sympathique ; l’équipier de l’hôtel, le premier que Eva rencontre à son arrivée dans l’hôtel qui l’embauche en remplacement de la gréviste Ludivine, finit par soutenir le mouvement de grève après avoir assisté au défilé improvisé par les femmes de chambre pendant la fashion week dans l’unique but de bloquer l’entrée principale de l’hôtel.
Bien sûr il y en aura toujours pour dire qu’un documentaire aurait plus eu sa place plutôt qu’un film. Mais ce film qui tourne autour de la grève des femmes de chambre de l’hôtel, n’a pas vocation à montrer les riches clients , ni les salons feutrés, ni le bar. On ne peut donc que saluer le très beau travail de Nessim Chickaoui qui brosse un « portrait » haut en couleur de ces travailleuses de l’ombre trop souvent reléguées dans l’ombre, méprisées, exploitées par ces sociétés de sous traitance qui profitent de leur précarité et de leur situation « sur le fil » oscillant sans cesse entre légalité (le renouvellement de leurs papiers dépend de leurs contrats de travail) et illégalité (pas de travail pas de papiers). Petites mains est défendu avec beaucoup de panache par une Corinne Masiero très inspirée et dont, pour une fois, j’ai apprécié la sobriété. Les autres comédien(ne)s ne sont pas en reste et font honneur au réalisateur avec talent.
Compte rendu, cinéma. Poitiers. CGR Castille, le 6 mai 2024. Nessim Chickaoui (né en 1997) : petites mains sur un scénario de Nessim Chickaoui et Hélène Fillières. Corinne Masiero, Simone ; Lucie Charles-Alfred, Eva ; Marie Sohna Condé, Safiatou ; Salimata Kamaté, Violette ; Maïmouna Gueye, Aïssata ; Mariama Gueye, Agnès Simon ; Kool Shen, Thierry Bonneau ; Abdallah Charki, Ali. Durée : 1 heure 27. Sortie nationale : 1er mai 2024.
Crédit photo Corinne Masiero : Caroline Vié pour 20 minutes
Crédit photo Lucie Charles-Albert : Emmanuelle Thiercelin