samedi 30 décembre 2023

Entre monstres et Beyrouth le Poitiers Film Festival fait le show


Les monstres, la monstruosité, il y a beaucoup à dire sur le sujet. Et Camille Sanz et son équipe l’ont bien compris en en faisant le thème principal de la quarante-sixième édition du Poitiers Film Festival. Ce sont des courts-métrages, le coeur du festival, des long-métrages, dont deux avant-premières, des dessins animés, des animations en tous genres qui ont été programmés pour permettre à tous les publics, du plus jeune au plus âgé, de venir au Théâtre Auditorium ou au TAP Castille pour visionner des films aussi différents les uns que les autres.


Séance piou-piou (dimanche 3 et mercredi 6 décembre)


Ce sont cinq court-métrages animés bien ficelés qui venaient de France mais aussi d’autres pays européens. Si le dimanche les familles étaient peu nombreuses, les enfants ont pris un vrai plaisir à regarder ces 5 dessins animés dont les monstres étaient loin d’être aussi effrayants que dans les films pour adultes, le mercredi, ils ont beaucoup parlé, racontant chaque histoire à leur manière à leurs parents, leurs grand-parents, leurs accompagnateurs, ce qui était assez réjouissant et en même temps très rafraîchissant.


L’étrange noël de Mr Jack (dimanche 3 décembre)


En début d’après-midi, c’est l’étrange noël de Mr Jack de Henry Selik qui était diffusé au Théâtre Auditorium de Poitiers. Sorti en 1993, ce film, parti d’une idée de Tim Burton, qui en a écrit le scénario avec Caroline Thompson et réalisé les dessins, relate les aventures de Jack, squelette très populaire car il organise des fêtes d’halloween mémorables. Mais Jack a envie de changement parce qu’il s’ennuie à force d’organiser des fêtes d’halloween toujours plus retentissantes. La découverte par Jack de « Christmastown » va le plonger dans des aventures inattendues ; le théâtre était bien rempli pour cette nouvelle diffusion familiale. L’on retrouve avec plaisir l’univers de Tim Burton qui, au travers de ce scénario et de ces dessins originaux, nous entraîne dans un monde parallèle très divertissant. Et le bal des petits monstres qui a suivi la diffusion a permis aux nombreux enfants présents de se lâcher avec un malin plaisir. Cependant beaucoup d’enfants, les plus jeunes, ne sont venus avec leurs parents que pour le bal des petits monstres, les parents n’ayant pas souhaité ni effrayer les petits en les menant voir le film, ni casser le mythe du père noël ; entre le feu d’artifice de ballons, car j’ai rarement vu autant de ballons éclater sous les coups de boutoirs des « petits monstres », l’atelier maquillage, le goûter, les animations, rien ne manquait pour divertir les enfants qui se sont beaucoup amusés.


Les court-métrages de Wissam Charaf


Wissam Charaf est un cinéaste autodidacte qui s’est rapidement fait un nom dans le milieu. Avec « Tombé du ciel », nous avons eu l’occasion d’apprécier un bel exemple du talent de Wissam Charaf (https://autresarts.blogspot.com/2023/12/tombe-du-ciel-bien-que-terminee-la.html). Mais nous savons aussi que le réalisateur franco-libanais apprécie particulièrement le genre court-métrage et nous avons vu une série de trois court-métrages de très belle facture.


Alba court-métrages


Cette série ne m’a pas vraiment convaincue, je ne m’étendrai donc pas.


La sélection internationale


Cette année, je n’ai vu que trois séries de court-métrages sur les huit programmées. Il y avait du très bon et du mauvais – voire même du malsain. Le très bon c’est le très court mais très beau film d’animation « Ressources Humaines » de Trinidad Plass Caussade, Titouan Tillier et Isaac Wenzek ; c’est aussi « La hérida luminosa » de Christian Aviles. Le mauvais, voire malsain c’est un court-métrage israélien d’une vingtaine de minutes ou l’on voit un jeune voler le téléphone d’une jeune femme et en arriver à se masturber en regardant ses vidéos avant de rendre l’objet à sa propriétaire légitime.


Une cérémonie de remise des prix très hilarante et un palmarès de qualité


C’est l’humoriste poitevin Jérôme Rouger qui animait la cérémonie de remise des prix. Et une fois de plus son humour caustique a beaucoup fait rire une salle très bien remplie ; visiblement très inspiré par le thème de l’édition 2023 et galvanisé par l’excellente ambiance qui régnait au Théâtre Auditorium pendant toute la durée du festival, Jérôme Rouger a ciblé quelques membres de l’équipe avec des piques bien senties qui les ont fait beaucoup rire et qui ont fait exploser de rire une salle toujours aussi pleine ce qui était de bon augure pour la dernière avant-première du festival.


Grand prix du jury : Se réveiller en silence de Daniel Asadi Faezi et Mila Zhluktenko. Allemagne. Documentaire – 2023. Durée : 8 minutes. Ecole : HFF, Munich.


Prix spécial du jury : Ressources Humaines de Trinidad Plass Caussade, Titouan Tillier et Isaac Wenzek. France. Film d’animation – 2023. Durée : 3 minutes. Ecole : EMCA – École des Métiers du Cinéma d'Animation, France


Prix de la mise en scène : Peine d’amour de Août Aabo. Fiction, 2022. Durée : 26 minutes. Ecole : Super 16, Danemark.


Prix du meilleur scénario : Electre de Daria Kashcheeva. Film d‘animation, 2023. Durée : 26 minutes. Ecole : FAMU – École de cinéma et de télévision de l'Académie des arts du spectacle de Prague. République tchèque


Mention spéciale : La Hérida luminosa de Christian Aviles. Fiction, 2023. Durée : 23 minutes. Ecole : ESCAC – Escola Superior de Cinema i Audiovisuals de Catalunya, Espagne.


Prix du public : La voix des autres de Fatima Kaci. Fiction, 2023. Durée : 30 minutes. Ecole : La Fémis, France


Prix du jury étudiant : Je n’ai jamais vraiment été là de Gabirel Bihina Arrahnio. Fiction, 2022. Durée : 25 minutes. Ecole : Université du cinéma Babelsberg KONRAD WOLF, Allemagne.


Prix découverte de la critique française : Taxibol de
Tommaso Santambrogio. Fiction documentaire, 2023. Durée : 50 minutes. Ecole : EICTV – Escuela International de Cine y TV, Cuba


Prix manifeste : Peine d’amour de Août Aabo. Fiction, 2022. Durée : 26 minutes. Ecole : Super 16, Danemark.


Prix de l’extra court : Code rose de Taye Cimon, Pierre Coëz, Julie Groux, Sandra Leydier, Manuarii Morel et Romain Seisson. Animation, 2022. Durée : 5 minutes. Ecole :  ENSI – École des Nouvelles Images, France.


Prix amnesty international France : La voix des autres de Fatima Kaci. Fiction, 2023. Durée : 30 minutes. Ecole : La Fémis, France.


Nous félicitons les lauréats et nous espérons les revoir dans les années à venir avec d’autres court-métrages et/ou avec un premier long-métrage.


Crédit photo : Arthur Péquin


mercredi 20 décembre 2023

So french : une compétition franco-française au coeur du Poitiers Film Festival


Le Poitiers Film Festival, qui se déroule la première semaine de décembre est reconnu de longue dans le milieu cinématographique français et international. Chaque année le comité de sélection reçoit un nombre toujours plus important de court-métrages du monde entier. Ces films réalisés par des jeunes gens en fin de parcours universitaire ont ainsi l’occasion de concourir dans deux catégories : la sélection internationale qui regroupait cette année 35 court-métrages et dont je parlerai dans un autre article et la catégorie So French qui regroupait 7 court-métrages. En général, la compétition pour cette catégorie se déroule en milieu de semaine ; et en 2023, elle s’est déroulé le mercredi 6 décembre dernier. La remise des prix a eu lieu tout de suite après la compétition ; ce sont quatre prix qui ont été décernés.


Prix du jury : Aldébaran de Emma Danion. Documentaire expérimental – France 2022 – Durée : 22 minutes. École : Master écritures documentaires - Université Aix-Marseille, Aix-en-Provence


prix du public : J’ai grandi ici de Joachim Larrieu. Fiction – France 2022 – Durée : 15 minutes. École : CinéFabrique, Lyon


Prix du jury lycéen : J’ai grandi ici de Joachim Larrieu. Fiction – France 2022 – Durée : 15 minutes. École : CinéFabrique, Lyon


Prix du jury étudiant international : Ungurus de Rostislav Kirpicenko, Sacha Teboul. Fiction – France 2022 – Durée : 35 minutes. École : La Fémis, Paris.


Nous adressons nos félicitations aux lauréats de cette belle compétition et nous espérons les revoir dans les prochaines années.


crédit photo TAP Poitiers : Arthur Péquin

Tombé du ciel : bien que terminée la guerre civile n’a jamais vraiment quitté le Liban


 

Wissam Charaf (né en 1973) est un réalisateur autodidacte qui navigue entre le Liban et la France. Bien que la guerre civile, qui a duré plus de quinze ans, soit terminée, elle a traumatisé tout un pays. Avec Tombé du ciel, film sorti en 2017, Wissam Charaf replonge en filigrane dans cette sombre période puisque le « héros », Samir, est un ancien milicien qui, annoncé mort, réapparaît soudainement chez frère, chez qui vit aussi le père des deux hommes. Les retrouvailles sont difficiles entre les trois hommes car le père a sombré dans la folie, Rami, le frère de Samir, travaille dur pour faire vivre le foyer et Samir tente de se reconstruire dans un Beyrouth qu’il ne connaît plus et auquel il n’appartient plus après vingt ans d’absence.


C’est un très beau film qu’a réalisé Wissam Charaf ; les plans, les images, les photos sont parfaits. Les paysages libanais, notamment les montagnes enneigées que nous voyons au début du film, sont magnifiques et la réalisation de Charaf les met en valeur sans ostentation. Quant à Rodrigue Sleiman (Samir) et Saïd Serham (Rami) ils forment un duo idéal ; L’un et l’autre s’emparent sans coup férir de leurs personnages et leurs donnent vie avec beaucoup de talent. Rodrigue Sleiman rend parfaitement les sentiments contradictoires de Samir qui est complètement perdu dans ce Beyrouth qu’il ne connaît plus après plus de vingt ans d’absence et les traumatismes de la guerre, qu’en tant que milicien et tireur d’élite, il a subi de plein fouet. Il n’y a pas d’affrontement direct avec Rami (Saïd Serham) mais les piques que se lancent les deux frères suffisent à nous faire comprendre à quel point les deux hommes n’ont plus rien en commun sauf leur père dont ils s’occupent à deux depuis le retour de Samir. Il faudra un drame pendant une mission de protection dont était chargé Rami pour qu’il y ait un semblant de rapprochement, mais cela ne suffira pas puisque Samir disparaît à nouveau après être allé rendre hommage à sa mère décédée pendant son absence ; cette nouvelle disparition rend la parole à Rami devenu muet après son acte héroïque.


Bien que le film ne dure qu’à peine plus d’une heure, Wissam Charaf nous a fait passer un excellent moment dans un Beyrouth toujours très abîmé par la guerre civile même si les blessures ne sont plus visibles, elles n’en sont pas moins toujours présentes et très profondes.


Compte rendu, cinéma. Poitiers. TAP Castille, le 7 décembre 2023. Wissam Charaf (né en 1973) : Tombé du ciel. Rodrigue Sleiman, Samir ; Saïd Serham, Rami ; Yumna Marwan, Yasmine ; Raed Yassin, Omar ; George Melki, le père ; Ivan Herbez. Date de sortie : 15 mars 2017. Durée : 1 heure 10.


Crédit photo Wissam Charaf : inconnu

samedi 9 décembre 2023

Julien Carpentier et La vie de ma mère ouvrent le 46e Poitiers Film Festival


Le Poitiers Film Festival, qui vient de s’achever, est reconnu de longue date dans le paysage cinématographique français et international. Spécialisé dans la promotion du court-métrage, le Poitiers Film festival promeut également les jeunes réalisateurs en fin d’études ou en tout début de carrière. Mais c’est aussi l’occasion de programmer des avant-premières pendant cette semaine intense. L’une en ouverture de la manifestation, une deuxième en clôture ; il y en a également une, deux ou trois en cours de semaine selon le thème de l’année. Ainsi, pour la quarante sixième édition du Poitiers Film Festival, dont le thème était « faire monstre », ce sont deux avant-premières qui ont été programmées le lundi et le mardi : Rosalie de Stéphanie di Giusto, qui signe là son deuxième film (sortie prévue le 10 avril 2024), et L’homme d’argile de Anaïs Tellenne (sortie prévue le 24 janvier 2024). Comme j’avais d’autres obligations et que je voulais aussi lever le pied par rapport à l’édition 2022, je n’ai pas vu ces deux films.


Pour son deuxième film,
La vie de ma mère, Julien Carpentier aborde le difficile sujet de la bipolarité ; et il le fait fort bien. Agnès Jaoui, dans le rôle de Judith, a tendance à en faire un peu trop ; mais c’est aussi le propre des bipolaires qui peuvent passer en quelques secondes d’une extrême euphorie à une phase de dépression intense. Et Agnès Jaoui rend ces sautes d’humeur avec une justesse confondante. Face à Agnès Jaoui, William Labghil est un très beau Pierre ; Le jeune homme, fleuriste à succès, qui ne supporte plus les incartades de sa mère dont la maladie, très envahissante et énergivore, a éprouvé le besoin de s’éloigner d’elle pour pouvoir vivre sa vie. La dernière fugue de Judith de la clinique ou elle est placée, va tout changer et rapprocher la mère et le fils au cours d’une escapade parfaitement filmée par Carpentier. Néanmoins, l’atmosphère change radicalement à partir de la scène de la chanson pendant laquelle Judith et Pierre, qui a appelé la clinique à l’insu de sa mère car il craint toujours une rechute, chantent en duo. Le jeune homme prend la fuite avec sa mère lorsqu’il aperçoit l’ambulance qui se gare devant le bar ou ils sont en train de chanter ; et cette fuite, qui est l’occasion de revoir l’ancienne maison de famille, permet aussi à Judith de prendre conscience de la situation qui est la sienne : malade, panier percé elle n’a pas / plus les moyens de vivre seule dans une maison et elle est placée sous curatelle dont Pierre est le gérant. Bref Judith apprend à accepter sa maladie tandis que Pierre apprend, ou plutôt réapprent à connaître et à aimer une mère dont il s’était éloigné.


Ce deuxième film de Julien Carpentier a le mérite de faire un focus sur une maladie qui est très souvent méconnue car les personnes qui en sont atteintes passent plus pour des excentriques qu’autre chose. Agnès Jaoui et William Lebghil font honneur à Julien Carpentier en donnant vie à Judith et à Pierre avec beaucoup de talent et d’humanité.


Compte rendu, film. Poitiers. Théâtre, le 1er décembre2023. Julien Carpentier : La vie de ma mère. Avec Agnès Jaoui, Judith ; William Lebghil, pierre ; Salif Cissé ; Alison Wheeler ; Noémie Zeitoun.


crédit photo Julien Carpentier : inconnu

crédit photo Agnès Jaoui : Patrick Fouque