vendredi 22 novembre 2019

J'accuse : Roman Polanski revient sur une monstrueuse erreur judiciaire





Si on sait tous que Roman Polanski (né en 1933) est loin d'être un saint, les accusations de viol qui ont accompagné la sortie de son dernier opus ont constitué la meilleure publicité que l'on pouvait imaginer car la salle ou je me trouvais était bien pleine. Je ne reviendrai pas sur cette histoire de viol, ancienne au demeurant, car ce n'est pas là le sujet de cette notule ; c'est au réalisateur de « J'accuse » que je vais m'intéresser. Et avec ce film, il réalise un véritable coup de maître. De quoi s'agit il ? Le film J'accuse revient sur l'affaire Dreyfus qui empoisonna les dernières années du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Le titre du film reprend le titre du célèbre article d'Emile Zola (1840-1902) qu'il publia dans le journal l'Aurore, propriété de Georges Clémenceau (1841-1929), qui sera surnommé quelques années plus tard « le tigre » suite à la création des brigades de police mobile qui intervint en 1907. Cette affaire qui s'étend sur une douzaine d'années ébranla aussi bien l'armée, « La grande muette », que les gouvernements successifs qui se trouvèrent empétrés dans les multiples mensonges d'Etat sur lesquels personne ne pouvait plus revenir sous peine de se discréditer définitivement aux yeux du public et même de l'Europe. On ne peut qu'être stupéfait de voir l'incroyable travail de recherche mené en amont de la réalisation du film, tant par Roman Polanski que par ses acteurs.

L'affaire Dreyfus elle même (1894-1906) :

En 1894, le bureau de renseignements de l'armée découvre qu'un traître transmet des renseignements classés secret/défense à l'ambassade d'Allemagne située, en cette fin de XIXe siècle, rue de Lille à Paris. Dans le souci de faire cesser ce « scandale », les officiers généraux incriminent le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), officier d'artillerie de confession juive, stagiaire au bureau de statistiques. Le capitaine est donc convoqué au ministère de la guerre, ancêtre du ministère de la défense, sous un prétexte quelconque et se voit prié d'écrire, sous la dictée, une lettre ; à peine est elle écrite qu'il se voit accusé de haute trahison, arrêté et aussitôt conduit en prison.

  • 22 décembre 1894 : 1er conseil de guerre. Le « procès » se tient à huis clos sans que le capitaine puisse se défendre correctement. A l'issue de ce qui s'avérera être une parodie de procès, le capitaine Dreyus se voit condamné à la dégradation et condamné à la prison.

  • 23 février 1895 : Le capitaine Dreyfus est dégradé devant ses pairs et devant une foule haineuse et farouchement antisémite. Cela n'empêche pas le malheureux de clamer une fois encore son innocence : « Soldats on dégrade un innocent. Soldats on déshonore un innocent. ». Dans la foulée il est ramené en prison puis transféré en Guyane sur l'île du diable. Ce minuscule caillou est en plein milieu de l'océan ce qui ne laisse aucun espoir au prisonnier de pouvoir prendre la fuite.

Après le conseil de guerre et la déportation de Dreyfus, l'armée et le gouvernement de l'époque considérèrent l'affaire classée. C'est l'enchaînement des évènements à partir de 1896 qui provoqua l'affaire. Elle fit tant de bruit que le scandale du détroit de Panama qui impliqua de hautes personnalités civiles françaises et étrangères passa inaperçu.

1896 : le commandant Marie-Georges Picquart est promu lieutenant colonel et prend la tête du bureau des statistiques en remplacement du colonel Sandherr, gravement malade, et mis à la retraite d'office. L'affaire est alors considérée comme jugée et classée ; cependant, un document connu sous la dénomination de « petit bleu » tombe fortuitement entre les mains du colonel Picquart. L'affaire Dreyfus commence et l'ampleur qu'elle prend alors ne cessera jamais d'enfler jusqu'à diviser la France en deux camps jusqu'en 1906 :

  • les généraux Gonse, de Boisdeffre et Mercier ainsi que le ministre de la guerre, le général Billot, ordonnent à Picquart d'oublier le bordereau, le « petit bleu » et toute « l'histoire » Dreyfus.

  • Officier certes antisémite mais intègre, le colonel Picquart désobéit et poursuit son enquête au grand dam de ses supérieurs. Le nom du commandant Esthérazy apparaît alors et il apparaît que son écriture est la même que celle des preuves qui ont provoqué la condamnation et la déportation du capitaine Dreyfus un an plus tôt.

1897 : L'affaire devient politique. Pendant que le commandant Henry prend du grade, il est promu lieutenant colonel et prend la direction des Services de Renseignements, il « produit » un faux pour sauver ses supérieurs (le « faux Henry ») Picquart se confie à son ami d'enfance, l'avocat Louis Leblois. C'est cet avocat qui prendra plus tard contact avec le sénateur Auguste Scheurer-Kestner (1833-1899). Le colonel Picquart, après plusieurs missions en France et à l'étranger, missions destinées à l'éloigner de Paris et à le faire taire, est dégradé puis chassé de l'armée avant d'être envoyé en prison d'abord au Mont Valérien puis à la prison de la santé.

1898 : L'assemblée nationale et le sénat se divisent mais c'est le célèbre article d'Emile Zola (1840-1902) qui va faire du bruit et enfoncer le clou un peu plus profondément. Dans « J'accuse », sa lettre ouverte au président de la république de l'époque, il reprend point par point l'affaire et pointe du doigt ses incohérences avant de terminer par une tonitruante série de « j'accuse » ou il cite les noms de tous ceux qui se sont empétrés si loin dans leurs mensonges qu'ils ne peuvent plus se dédire sous peine d'achever de se discréditer ; Zola met aussi en cause le premier conseil de guerre qu'il cite nomément en tête de liste. Le procès qui s'ensuit devient une incroyable tribune aussi bien pour les dreyfusards, bien que le tribunal et l'armée tentent par tous les moyens de les faire taire, que pour les anti-dreyfusards. Bien que le célèbre écrivain soit condamné à un an de prison et à 3000 francs d'amende, il n'ira jamais en prison puisqu'il s'enfuit à Jersey ou il mourra en 1902. Le colonel Picquart rencontre le colonel Henry qui l'a provoqué en duel à l'épée ; duel que Picqaurt remporte après avoir blessé deux fois son adversaire au bras, le rendant incapable de poursuivre. Tandis que Picquart sort enfin de prison, ou il a passé un an sans procès, le colonel Henry, dont le faux a enfin été découvert, va au Mont Valérien dans l'attente de son procès. Il se suicide avant même d'être jugé.

1899 : Le capitaine Dreyfus est rapatrié en métrople pour passer devant un nouveau conseil de guerre. Il ne sera pas plus en mesure de se défendre, mais, même s'il est à nouveau condamné, avec circonstances atténuantes (circonstances atténuantes de quoi, d'ailleurs?), il ne retournera jamais sur l'île du diable. Le commandant Esthérazy, le véritable traître, ne sera jamais jamais inquiété ni condamné à une quelconque peine de prison et mourra paisiblement quelques années plus tard.

1906 : Alfred Dreyfus été gracié par le président de la république au tout début du XXe siècle. Un dernier conseil de guerre a finalement reconnu l'innocence de Dreyfus qui est réhabilité, réintégré dans l'armée et promu au grade de commandant. Qaunt à Picquart, lui aussi réhabilité et réintégré dans l'armée, il est nommé général de brigade. Ministre de la guerre en 1906 dans le même gouvernement que Clémenceau, ministre de l'intérieur, il passera les dernières années de sa vie en Alsace. Picquart meurt quelques semaines avant le déclenchement de la grande guerre tandis que Dreyfus se battra courageusement au service de la France ; il meurt paisiblement en 1935 après avoir, bien malgré lui, divisé le pays. Il est à noter que, même s'il a été effectivement été promu après sa réhabilitation, les années passées sur l'île du diable n'ont pas été prises en compte ; Dreyfus n'a donc jamais eu le grade auquel il aurait pu aspirer s'il n'y avait pas eu d'affaire. Cette affaire ahurissante aura duré douze ans et provoqué bien des drames. Les mensonges institutionnels devenus vérité d'état perdurent encore dans certaines franges de la société française plus d'un siècle près la fin de l'affaire Dreyfus.

Le film

Roman Polanski n'est pas le premier à s'intéresser à l'affaire Dreyfus et son film est le dernier en date d'une longue série. Cela étant dit, pour J'accuse, le réalisateur s'est focalisé sur le colonel Marie-Georges Picquart et l'enquête qu'il mena après la découverte du « petit bleu » dont il s'aperçut qu'il innocentait le capitaine Dreyfus. C'est donc de son point de vue, et basé sur les souvenirs du futur général que le film a été réalisé. La distribution convoquée pour J'accuse réunit une kyrielle de comédiens talentueux, dont beaucoup sont aussi sociétaires de la comédie française. On notera aussi l'incroyable et très rigoureux travail de recherches mené par Polansky et par ses comédiens pour le film. Le résultat à l'écran est d'ailleurs stupéfiant ; ce n'est ni Jean Dujardin ni Louis Garell que l'on voit mais bien Picquart et Dreyfus, le second (Louis Garell) étant par ailleurs totalement méconnaissable.

A tout seigneur tout honneur ; Jean Dujardin est un Marie-Georges Picquart remarquable. Il s'est si bien imprégné du personnage et du contexte conflictuel de l'époque que le comédien et le militaire intègre ne font plus qu'une seule et même personne. Louis Garell, si bien grimé, qu'il en est devenu méconnaissable, est un Dreyfus excellent ; et même si l'on voit assez peu le capitaine, il est omniprésent tant il cristallise sur son nom et sa foi à la fois haine et sympathie. Dans la cohorte de militaires tous aussi antisémites et sans scrupules les uns que les autres on appréciera tout particulièrement le commandant Henry retors, méchant et sournois à souhait campé par Grégory Gadebois. Laurent Natrella est un commandant Esthérazy aussi lâche et pleutre que le véritable militaire qui, terrorrisé à l'idée d'aller en prison, a fait feu de tous bois pour que Dreyfus reste ou il était couvert qu'il était pas ses supérieurs et avec Didier Sandre nous avons un général De Boisdeffre de luxe. En ce qui concerne les civils, on apprécie tout particulièrement la présence d'Emmanuelle Seignier qui incarne une convaincante Pauline Monnier ; quant à Denis Podalydès, Melvil Poupaud et Vincent Perez ils campent un trio d'avocats de très belle tenue. On notera la participation d'André Marcon qui campe un Emile Zola à la fois provocateur et digne « Vous ne pouvez pas parler publiquement, mais moi je peux. » dit il à Picquart lorsqu'ils se rencontrent chez maître Leblois, et il le fera avec panache ; sa célèbre lettre ouverte, qui donne son titre au film, au président de la république a provoqué un scandale sans précédent et donné un tournant décisif à une affaire clivante, très méditisée et loin d'être terminée en ce début d'année 1898. Et si le procès qui s'ensuit condamne Zola à la peine maximale prévue par la loi de l'époque (1 an de prison et 3000 francs d'amende) il ne la purgera jamais en s'enfuyant à Jersey et en ayant obtenu ce qu'il voulait : la prise en compte des protestations d'innocence du capitaine qui sera rejugé un an plus tard. Mort en 1902 peu après son retour à Paris, Zola ne verra jamais la réhabilitation de Dreyfus et sa réintégration dans l'armée française. Nul doute cependant que s'il avait été témoin de la promotion étonnamment « basse » d'Alfred Dreyfus il eût repris la plume pour dénoncer cette injustice.

C'est une reconstitution de très belle tenue que nous propose Roman Polanski. On peut penser ce qu'on veut de l'homme, le réalisateur signe là un de ses plus beaux opus. Opus d'ailleurs fort bien défendu par une distribution cinq étoiles menée tambour battant par un Jean Dujardin très inspiré et un Louis Garell très convaincant.

CR film. Poitiers. TAP – Castille. Cinéma d'art et d'essai, le 19 novembre 2019. Roman Polanski (né en 1933) : J'accuse. Jean Dujardin, colonel Marie-Georges Piccquart ; Louis Garell, capitaine Alfred Dreyfus ; Emmanuelle Seigner, Pauline Monnier ; Grégory Gadebois, commandant Henry ; Hervé Pierre, général Gonse ; Vladimir Yordanoff, général Mercier ; Didier Sandre, général de Boisdeffre ; Melvil Poupaud, maître Labori ; Eric Ruff, colonel Sandherr ; Mathieu Amalric, Bertillon (criminologue) ; Laurent Stocker, général de Pellieux ; Vincent Perez, maître Leblois ; Michel Vuillermoz, commandant Du Patty de Clam ; Vincent Grass, général Billot ; Denis Podalydès, maître Demange ; Damien Bonnard, commissaire spécial adjoint Desvernine ; Michèle Clément, lavandière ; Pierre Léon Duneau, capitaine Valdant ; Laurent Natrella, commandant Esthérazy ; Bruno Rafaelli, juge Delegorgue ; André Marcon, Emile Zola ; Gérard Chaillou, Georges Clémenceau ...


vendredi 8 novembre 2019

Clémentine Autain ouvre l'édition 2019 des rencontres Michel Foucault





Placée sous le signe de la famille, la huitième édition des Rencontres Michel Foucault a ouvert en fanfare mardi après midi avec une conférence de la très médiatique journaliste et députée insoumise Clémentine Autain. Son dernier livre, dans lequel elle parle de sa mère, l'actrice Dominique Laffin, Dites lui que je l'aime est paru aux éditions Grasset en mars 2019. « A chacun sa famille », tel est le thème de l'édition 2019 des Rencontres Michel Foucault ; et si, comme le disaient fort justement Jérôme Lecardeur, le sympathique directeur général du Théâtre Auditorium de Poitiers et Yves Jean, le président de l'Université de Poitiers, la manifestation traite de sujets d'actualité, c'est aussi l'occasion de philosopher ensemble dans le sens le plus noble du terme.

Je ne reviendrai pas sur les discours qui ont ouvert la conférence, Ils ne donnaient pas d'informations supplémentaires et tendaient de manière générale à remercier le public toujours plus nombreux et fidèle et à présenter les conférences, tables rondes et autres lectures participatives programmées pendant les quatre jours de la manifestation. C'est en compagnie de Frédéric Chauvaud, professeur d'histoire contemporaine à l'UFR de Sciences Humaines de Poitiers et membre du comité scientifique des Rencontres Michel Foucault, que Clémentine Autain s'installe face au public. Après une présentation concise de l'oratrice, le public a l'occasion d'apprécier la parole claire, nette, précise de Clémentine Autain dont la conférence s'intitule « La famille sous le choc de l'émancipation de la femme » ; quel programme ! Le temps étant compté, Clémentine Autain n'a pas le temps d'aborder tous les sujets qu mériteraient de l'être mais j'ai apprécié les prises de positions bien argumentées de la députée, qui n'oublie pas qu'elle est aussi journaliste. Du partage des tâches à l'inégalité salariale en passant par la PMA (Procréation Médicalement Assistée), la GPA [(Gestation Pour Autrui), à laquelle elle est par ailleurs opposée] ou encore l'écologie, Clémentine Autain évoque nombre de sujets qui reviennent avec force sur le devant de la scène. L'éloquence remarquable de Clémentine Autain a permis au public de se réapproprier ces sujets dont l'importance ne saurait être plus longtemps niée, voire remisée sous une pile de dossiers « majeurs ». On apprécie aussi de voir Clémentine Autain narrer quelques anecdotes vécues à l'Assemblée Nationale qui permettent de constater à quel point les députés peuvent parfois avoir une attitude rétrogradesur certains sujets, comme le partage des tâches par exemple.

On ne peut que se féliciter de voir une conférence inaugurale de si belle tenue. Le succès de cette heure passée en compagnie de la journaliste ne tient pas seulement à la qualité exceptionnelle de l'intervention de Clémentine Autain, oratrice de talent, mais aussi au travail rigoureux mené en amont.

Compte rendu Rencontres Michel Foucault. Poitiers. Auditorium, le 5 novembre 2019. Clémentine Autain, journaliste, députée de Seine Saint Denis en présence de Frédéric Chauvaud, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers : « La famille sous le choc de l'émancipation de la femme »

On rappellera le dernier livre de Clémentine Autain sorti en mars 2019 aux éditions GRASSET : « Dites lui que je l'aime ». Dans ce livre elle s'adresse à sa mère trop tôt disparue l'actrice Dominique Laffin.